VINCENT VAN GOGH

LE JOURNAL DE LA MAISON JAUNE

site : vangoghaventure.com

 

Vingt-deuxième semaine


pluie et mauvais temps+ mais intervalles ensoleillés.
Peint des terres labourées avec ciel et ciel bleu avec des nuages blancs (541a, 24 septembre).


Je travaille au portrait de Milliet mais il pose mal 541a (24 septembre).

Enfin le ciel étoilé peint la nuit sous un bec de gaz. Le ciel est bleu vert, l’eau bleu roi, les terrains sont mauves.
deux figurines colorées d’amoureux à l’avant-plan (543 28 septembre).

Pareillement croquis d’une toile représentant la maison et son entourage sous un soleil de soufre, sous un ciel de cobalt pur. Le motif est d’un dur ! mais justement je veux le vaincre. Car c’est terrible, ces maisons jaunes dans le soleil, et puis l’incomparable fraîcheur du bleu. Tout le terrain est jaune aussi (543 28 septembre)..

Je t’en enverrai un meilleur dessins que ce croquis de tête, la maison à gauche est rose à volets verts, celle qui est ombragée par un arbre.
C’est là le restaurant où je vais dîner tous les jours, mon ami le facteur reste au fond de la rue à gauche+ entre les deux ponts du chemin de fer. Le café de nuit que j’ai peint, n’est pas dans le tableau, il est à gauche du restaurant.
Milliet trouve cela horrible. Cela me fait du bien de faire du dur (543 28 septembre).

 

 

 

Lundi 24 septembre
La nature est extraordinairement belle ces jours-ci. Le bleu céleste du ciel, l’or du soleil, la puissance des verts du jardin, les fleurs roses, que je vois de mes fenêtres me comblent.

Je n’ai jamais été aussi bien entouré de belles choses. De tous les coins de la maison, par les fenêtres, j’entrevois des couleurs vivantes et joyeuses, des lumières et des ombres nettes.
Pendant que je peignais les jardins, j’ai eu autour de mois quelques curieux et des gamins qui s’amusaient de voir les couleurs sortir des tubes et de me voir les étaler ou les frapper sur la toile. Pourquoi n’aurait-on pas comme les musiciens, un public qui applaudirait l’œuvre finie ? Ils ne m’ont pas dérangé et ont eu l’air de plutôt l’air de se distraire.


Mardi 25 septembre
C’est incroyable que mes couleurs finissent toutes presque en même temps. Je dois avoir au fond de moi une sensation des proportions relatives, d’un certain équilibre des couleurs.
A part peut-être le jaune que j’utilise de plus en plus.



Mercredi 26 septembre
Milliet revient de Paris. Theo lui a donné pour moi un bon lot de japonaiseries et autres gravures modernes. Mes murs vont encore s’embellir. Il faudrait que je plante deux lauriers roses devant ma porte dans des tonneaux. Ça fera plus accueillant et le rose des fleurs donnera bien sur la porte verte.


Jeudi 27 septembre
J’ai gratté un Christ avec l’ange dans le jardin des oliviers. J’ai dû m’attaquer aux oliviers qui sont nettement plus intéressants que ceux du Nord. Je voudrais essayer de faire un tableau puissant avec la figure du Christ bleue, la nuit étoilée avec des bleus encore plus puissants et l’ange jaune citron. Et tous les violets depuis un pourpre rouge jusqu’à la cendre dans le paysage.



Vendredi 28 septembre
J’ai travaillé aujourd’hui sans presque bouger pendant dix heures d’affilée. Ce jardin en face la maison me fait beaucoup travailler. Je l’ai modifié en enlevant des buissons qui faussaient le style. Ils ont dû être rajoutés par la suite, surchargeant l’ensemble. C’est en le regardant longuement et en le peignant longtemps que j’ai compris ce qui n’allait pas.
J’ai maintenant rétabli dans ma peinture le jardin tel qu’il devait être.
J’ai une grande lucidité pour le travail ces jours-ci et la nouvelle série de peintures en train m’exalte énormément.
La décoration de la maison avance bien. J’aurais bientôt une belle série d’œuvres bien saines sur les murs de l’atelier.



Samedi 29 septembre
Comme il pleut aujourd’hui, j’en ai profité pour redécorer l’atelier avec toutes les gravures que m’a rapportées Milliet.
Les crépons les plus vulgaires et les plus colorés sont ceux qui me plaisent le plus.
J’aime dessiner mais si je dois gagner ma vie un jour, ce sera plutôt avec ma peinture. Je préfère prendre la nature par le côté couleurs.
Je voudrais arriver comme les Japonais à dessiner une figure en quelques traits sûrs. Avec une grande aisance.
Aujourd’hui, j’ai pu peindre pendant une éclaircie, des terres labourées, un ciel bleu et des nuages blancs. Les mottes de terre surtout ont la bonne couleur.
J’ai fait le portrait de Milliet. C’est difficile, il bouge tout le temps. On sent qu’il a autre chose à faire. Il a beaucoup d’allure mais ses jambes bougent tout le temps.



Dimanche 30 septembre
J’ai enfin peint un ciel étoilé à la Monticelli. Sur la courbe du Rhône, juste en face de chez moi, à la lueur d’un réverbère. Les lumières jaunes des lampadaires s’étalant par endroits sur le fleuve sont pas mal. J’ai peint un grand ciel avec des étoiles de toutes les couleurs.
Je viens aussi de finir le tableau de ma maison jaune. Comme je venais de faire les bords du Rhône et le ciel étoilé, finalement je l’ai faite de jour sous un ciel bleu.
Milliet le trouve trop dur. Mais cela me fait du bien de faire du dur. Zola ou Flaubert décrivent eux aussi des choses dures et on ne les accable pas. On a assez vu de peintures fades et sans épine dorsale.
Je suis sûr que Theo aimera ces dernières toiles. J’ai l’impression que mes touches se tiennent et s’enlacent avec le sentiment comme une musique jouée avec émotion.
Je me laisse aller à mes goûts comme ils viennent. Certains tableaux me viennent comme dans un rêve.
Puisque je n’ai pas de modèles, j’approfondis l’étude du paysage sans m’occuper de savoir où ça me mènera.
L’étude de la vigne m’a épuisé. Je ne sais pas pourquoi j’ai eu tant de difficulté pour la finir. J’y ai mis beaucoup plus de choses qua dans mes derniers tableaux où je cherchais surtout la simplicité. Mais je suis parvenu à tout maîtriser.
Je sens enfin venir l’espérance que mes tableaux vont enfin valoir quelque chose. De jour en jour ça devient plus riche. J’attends maintenant la chute des feuilles. Cela va devenir plus jaune encore. Que c’est beau le jaune !

Travail en cours