chaise en bois et en paille toute jaune sur des carreaux rouges contre un mur (le jour).

Ensuite le fauteuil de Gauguin rouge et vert, effet de nuit, mur et plancher rouge et vert aussi, sur le siège deux romans et une chandelle. Sur toile à voile à pâte grasse.

Lundi 19
Gauguin me fait la même critique qu'à Monet. Il pense qu'il faut suggérer plutôt que décrire la nature.
Il est contre l'art spontané, lui a choisi un art plus réfléchi, plus construit mais en même temps plus primitif. Il n'aime pas les neo-Impressionnistes et pense créer une école supérieure à la leur.
Theo est sensible à ce que pense et ce que peint Gauguin. . D'après lui, il dépasse Monet.
La toile des petites bretonnes que Gauguin doit rétoucher es arrivée. Bien qu'elle soit bonne, ce qu'il fait maintenant est trente fois meilleur. Il semble ne pas se rendre compte, mais depuis qu'il est là, sa peinture a beaucoup changé en mieux. Il me critique que je travaille toujours à la hâte, mais c'est ma façon d'aborder la nature.

 

Mardi 20
Je suis en train de peindre le portrait d'un chaise. J'en avais assez de faire les choses de tête. J'avais besoin de revoir devant moi un sujet simple à traiter carrément. J'ai cherché à rendre la simplicité à la Daumier et le confort rustique. Je l'ai peinte de jour, bien éclairée, contre la porte de la cuisine. La chaise vide de Fildes en hommage à Dickens m'a toujours impressionné. Il était temps que j'en peigne une à ma manière.

 

 




Mercredi 21
J'ai fait aussi le portrait de la chaise vide de Gauguin avec sa personnalité à lui. Plus confortable, plus solide, plus raffinée avec ses accoudoirs chantournés. C'est presque un trône posé sur un sol chamarré comme un tapis, avec une bougie allumée et des livres pour symboliser l'intelligence et la culture.

 

Jeudi 22
Gauguin n'arrête pas de tout critiquer. Il se trouve tellement supérieur et se croit presque arrivé. Comme il vient d'être invité aux Vingtistes, ça le rend plus orgueilleux encore. D'après lui, Arles est tout petit, mesquin, les paysages et les gens. J'ai pourtant essayé de lui montrer les beautés et la simplicité des gens d'ici à la Daudet, même s'ils sont loin du caractère heureux de Tartarin.

On n'aime pas les mêmes peintres. Je ne sais pas pourquoi il déteste Millet, Daumier ou Monticelli qui sont mes préférés. J'ai attaqué une toile du Semeur Il m'a convaincu de décliner l'offre d'exposition de la Revue Indépendante.

 

Vendredi 23
Même si je suis content des toiles de Gauguin que Theo a de nouveau vendues, je suis triste de constater que mon travail stagne et n'intéresse personne.
J'ai dit à Theo de ne rien montrer à la galerie, mais seulement à la maison.
J'ai une sérieuse dent contre les Boussod-Valadon et n'accpeterai de rentrer chez eux que très carrément ou pas du tout.

 

Samedi 24
Theo semble me reprocher de ne pas vendre. Qu'y puis-je ? Je suis en plein travail et il me faut encore du temps.
Gauguin a cinq ans de plus que moi et commence seulement à vendre. Si je fais une série de tableaux tels que celle des Tournesols, j'aurais la place à côté de n'importe qui.
Il parle de s'installer dans les Tropiques pour fonder un atelier si Theo, comme il vient de lui dire, allait vendre toutes ses toiles.

 

Dim 25
Les soirées avec Gauguin deviennent difficiles. Il semble ne plus vouloir débattre avec moi et fuit les discussions. Il a tant reçu d'argent depuis qu'il est à Arles qu'il envisage de partir bientôt. Je sens qu'il a envie de partir. La chaise vide que j'ai faite est peut-être une intuition de ce qu'il va se passer bientôt.