J'en ai fabriqué de ces jours-ci encore plus à la hâte. Gauguin préférait les miens à celui de Monet (un tableau de tournesols dans un grand vase japonais très beau). Je ne crois pas que je suis en train de faiblir.

 

 

Lundi 3 décembre
Gauguin a peint un paysage avec de grands arbres bleus au premier plan qui divisent la toile, un peu comme celui que j'ai fait aux Alyscamps d'après ses idées.
J'ai refait le tableau de Bernard des bretonnes dans la prairie dans beaucoup de positions différentes. Des figures modernes et élégantes qui ont la grâce des sculptures antiques.

Armand Roulin est agréable à peindre. Il pose sagement.. Ce jeune homme a les yeux de son père mais sa pose est moins raide. Quand je peins des portraits, j'essaie avec mes couleurs de rendre ce que je sens de l'âme de la personne.
Gauguin a recopié les mots Carlyle sur Wagner : "Je crois en Dieu, en Mozart et en Beethoven ; je crois aussi en leurs disciples et en leurs apôtres… je crois en la sainteté de l'esprit et en la vérité de l'art… Je crois que cet art est de source divine".

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

J'ai refait des tournesols. Comme G aime les autres, j'en ai fait un pour lui qui servira d'échange.



 

 

 

 

 

 

 

 

Mardi 4 décembre
J'ai pu enfin peindre madame Roulin et son bébé. J'en avais assez des portraits d'imagination comme le jardin à Etten. Je n'en ai pas l'habitude et j'ai raté et qui m'a posé des problèmes et renvoyé à des souvenirs douloureux.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Madame Roulin est venue poser à l'atelier et Gauguin en fait aussi des dessins. L'enfant est plus difficile à faire, j'ai essayé, après avoir fait deux études de l'enfant tout seul, de faire un portrait de la mère et l'enfant. J'ai fait plusieurs études de la tête du bébé. mon jour viendra. Je ne peux ni ne doit en ce moment faire autre chose que travailler.

 


Mercredi 5 décembre
G veut continuer ici l'opposition qu'il avait eu avec Bernard à Pont Aven. Il a repris la théorie du "cloisonnisme" de Bernard et se l'est appropriée.
Je sens bien que tout en me critiquant il écoute mes analyses et les réinterprètent à sa manière. Il est foncièrement égoïste et ne pense qu'à sa réussite



Jeudi 6 décembre
Je n'ai pas envie d'envoyer mes toiles à Theo, j'ai peur qu'il les trouve médiocres face à ce qu'il reçoit de Gauguin. Je veux aussi avoir le temps de préparer une exposition avec beaucoup de toiles. J'ai l'impression que je sors de la merde des études, de temps en temps, une toile qui fait tableau.
J'ai demandé à Theo de ne pas exposer mes toiles, à part celles chez Tanguy qui ne comptent pas, de les mettre de côté pour en faire une exposition complète d'ici à un an.
Gauguin veut partir même s'il sait qu'ici il est tranquille, mais tout l'argent qu'il a reçu de Theo depuis qu'il est là, lui donne à penser qu'ailleurs il vendra encore plus et que Theo va tout lui vendre.


Vendredi 7 décembre
J'ai été au bout des théories de Gauguin avec le jardin à Etten qui m'a fait sentir combien je faisais fausse route en suivant Gauguin comme je l'ai fait depuis un mois. Cette toile m'a posé trop de problème et a éveillé trop de sentiment douloureux en plus des problèmes de composition ou d'harmonie des couleurs. Je constate avec cette toile que ma démarche ne va pas avec celle de Gauguin. Je ne m'attendais pas, mi qui l'attendait comme le messie, que si vite, ses leçons, ne marcheront plus avec moi. Comme avec Mauve, je ressens le besoin d'un maître compétent pour me diriger. Assez vite, je comprends et j'applique leurs leçons comme un bon élève mais au bout de quelques semaines, je sens que ce n'est plus ce qu'il me faut. Ils ne comprennent pas que j'abandonne leur façon pour revenir à la mienne, bien sûr nourrie de ce que j'ai appris.
Si, avec Mauve, j'avais un respect dû à l'âge et à l'œuvre, avec Gauguin qui n'est plus vieux que moi que de quelques années, je dois plus me heurter. Il est très fort, très grand artiste. Depuis qu'il est arrivé, il m'a appris beaucoup de choses, mais je lui ai aussi montré que je j'allais bien dans une direction originale et que j'avais beaucoup réfléchi à ce que je faisais. D'ailleurs, ses premiers tableaux d'Arles sont souvent inspirés des miens. Il a repris des motifs que j'avais déjà fait : lavandières, canal, café, etc. probablement pour s'y essayer et peut-être me montrer qu'il les faisait mieux que moi.



Samedi 8 décembre
G veut montrer sa domination et sa supériorité sur moi en tout, y compris dans le domaine sexuel. Il est toujours à draguer et semble avoir beaucoup besoin de sexe.


Elle m'est chère la vérité, je cherche à faire moi aussi, je crois que je préfère être cordonnier que musicien avec les couleurs.
Je préfère regarder attentivement les détails physiques pour arriver à leur réel caractère mental. Je crois que la présence réelle des objets ou des figures incarne leur destin spirituel.
J'ai reçu autoportrait de Laval.



Dimanche 9
Ce qui compte c'est la franchise du dessin. Le coup de crayon doit être libre et simple. J'ai l'impression de ne plus vouloir faire ce que G me dit. Il le sent et m'en veut. Mes derniers tournesols constituent la fin de notre relation technique, je lui montre ma valeur et ma supériorité.