VINCENT VAN GOGH

LE JOURNAL DE LA MAISON JAUNE

site : vangoghaventure.com

 

Quatrième semaine

Lundi 21 mai

Je suis retourné à Montmajour. J’ai fait deux dessins de l’abbaye en ruine (F1417 et F1423) pour montrer à Théo à quoi ça ressemble. C’est un coin assez extraordinaire, une juste hauteur d’où on a l’impression de dominer le monde et de voir les détails très loin, des perspectives très larges et lointaines, une succession de lignes horizontales jusqu’aux petite montagnes qui ferment l’horizon.

Je suis inquiet pour Theo, je lui ai envoyé une très longue lettre. Je me remets au moment où Theo va mal et je ne suis pas à côté de lui pour le soutenir. Sa maladie de cœur vient de sa dépression ? On se sent cheval de fiacre alors qu’on préférerait être sauvage libre dans la prairie en compagnie d’autres chevaux et bien sûr de juments. Nos maladies viennent de là, de notre aliénation. Comme les chevaux de fiacre, on est triste et abattu, accablé par notre sort et toute l’énergie perdue se transforme en mauvais sang. Même si on ne se révolte pas, on n’est pas résigné non plus, c’est le corps qui souffre. Heureusement, notre croyance en l’art, à la poésie.

Mardi 22 mai

Les dernières toiles me redonnent l’espoir de réussir. Je me sens moins anxieux et je travaille avec beaucoup plus de calme. Il semble que ça me réussisse. Malheureusement, il n’y a pas de recette miracle pour faire une bonne toile. Pourquoi, de temps en temps, une qui écrase les autres. C’est dans la simplicité des formes et des couleurs que je dois chercher. Je ne sens plus tant le besoin de me distraire, je suis moins tiraillé par mes passions, et je puis travailler avec plus de calme, je pourrais être seul sans m’embêter. J’en suis sorti dans mon sentiment encore un peu plus vieux, mais pas plus triste..

J’ai reçu des sonnets de Bernard. Je lui ai critiqué certains qu’il fallait qu’il les retravaille un peu plus.

 

 

Mercredi 23 mai

Les artistes ne sont pas pris au sérieux, ni ici, ni ailleurs. Nous sentons la réalité de ce que nous sommes peu de chose, et que même pour n'être un anneau dans la chaîne des artistes, nous payons un prix raide de santé, de jeunesse, de liberté.

 

 

 

Jeudi 24 mai

J’ai lu que le père Corot avait vu en rêve des ciels roses et jaunes et verts. Il ne se trompait pas. Les Impressionnistes les ont faits pourtant. Il a eu la prescience de ce que la peinture allait devenir. Le mouvement est plus important que l’homme et le dépasse. Je suis sûr que naîtra dans l’avenir un art si jeune et si beau que tous seront étonnés. Cela me rend serein et me console. Je sais que mes œuvres resteront.

Vendredi 25 mai

Il fait très chaud maintenant. Les ballades à Montmajour me laissent épuisé. Une fatigue agréable néanmoins. Je dessine beaucoup. Le dessin est bien plus nécessaire et apprend plus que la peinture. On ne dessine jamais assez.
Ces grandes perspectives de Montmajour me posent beaucoup de problèmes. Je cherche maintenant les lignes essentielles du paysage et je laisse dans le vague exprès le banal. J’arrive mieux à extraire l’essentiel, mes dessins y gagnent en puissance, leur architecture et plus solide. Je n’ai plus peur de faire de grands aplats de couleur à la manière des Japonais. Ce que je fais est très japonais, comme si je continuais le travail d’Hokusai ou de Yensen.

 

Samedi 26 mai

Les paysages que je vois ici m’exaltent, je sens qu’ils m’aident à m’élever un peu plus. Probablement à cause de cette hauteur idéale où je travaille. Ce que je vois est magnifique. De l’or, des verts, des jaunes éclatants comme je n’en avais jamais vu. Ce monde est vraiment beau. C’est quand même dommage que toute cette beauté soit gâchée par les erreurs graves des hommes. Le Créateur a dû bâcler cette étude, il a dû la faire à la hâte un de ses mauvais jours. Il ne devait pas avoir sa tête à lui quand il a fait ce monde. Cette étude est malheureusement éreintée de plusieurs manières. Il a absolument réussi la nature, mais presque complètement raté l’être humain qui est veule, lâche, ne pensant qu’à son profit. Il n’y a que les maîtres pour se tromper ainsi. On a le droit d’espérer que les autres mondes soient mieux finis.

 

 

 

 

Dimanche 27 mai
Je suis encore inquiet pour Theo. Le docteur Gruby n’a pas l’air de le prendre au sérieux. Pourtant il se plaint d’être toujours fatigué, de manquer de souffle, de se sentir las et déprimé. Et ses patrons qui l’exploitent, comme ils m’ont exploité, et renvoyé ensuite, sans gêne. Ils veulent maintenant l’envoyer en Amérique. Il n’a pas la santé pour ces aventures. Je lui ai écrit de me prendre avec lui dans ses voyages. Je préfère tout abandonner plutôt que le voir s’éreinter pour gagner de l’argent que je dépense sans arrêt. Ce dimanche est magnifique, il y a un soleil splendide et pas de vent. Cela ferait du bien à Theo tout ce soleil. Je me suis arrangé avec le gérant de la maison. Il est d’accord pour la faire repeindre entièrement, Elle en a bien besoin. Il y avait longtemps qu ‘elle n’avait pas été habitée et s’est beaucoup dégradée. Cela me coûtera dix francs, mais ça vaut le coup.
Je voudrais peindre l’intérieur avec de la chaux blanche et l’extérieur en jaune, les volets verts. J’y travaille avec plaisir. J’ai très envie de faire des dessins à la plume, colorés à teintes plates à l’aquarelle, comme les crépons japonais. J’ai demandé à Theo de m’envoyer quelques tubes d’aquarelle..

Travail en cours