Histoire des Juifs d'Amazonie


7 novembre 1904

Chère Reina
Je n'ai pas de tes nouvelles mais de t'écrire me rapproche de toi. J'ai tellement envie de te raconter tout ce que je vois. Bélem est une grande ville de près de 100 000 habitants, avec des scieries, des manufactures, des ateliers, des comptoirs commerciaux… C'est est le plus grand port de l'Amazone, c'est d'ici que partent tous les bateaux qui sillonnent le fleuve.
J'ai beaucoup de mal à m'adapter à ce climat chaud et humide, un peu étouffant. La jungle est toute proche, elle pénètre dans la ville par endroits. Les rues sont bordées de manguiers.
Face au fleuve, le Ver-O-Peso (vérifier le poids) est un immense marché, le plus grand du Brésil.
On y trouve de tout
: des produits locaux artisanaux (poteries, paniers..) et alimentaires : poisson, viande, fruits et produits d'importation de tous les pays du monde. Il y a des fruits que je n'ai jamais vus…
Les bars, restaurants, les "Churrascarias" - sont bondés de gens de toutes nationalités ; on trouve aussi beaucoup aussi d'échoppes vendant de la pharmacie locale pour toutes sortes de maladies.
On a assisté à un pèlerinage énorme. Une foule de gens telle que je n'en ai jamais vue avec des milliers de petits bateaux qui couvraient le port. Plusieurs chars fleuris et la statue de la Vierge étaient portés par des milliers de personnes qui chantant des chantaient des chants religieux. C'était très impressionnant et très beau à voir. Il y avait une ambiance extraordinaire dans la ville pendant quelques jours.
Il y a un marché tout en fer, le "Mercado do Ferro". Il a été importé d'Angleterre en pièces détachées. Le poisson est directement débarqué ici.
J'ai goûté leur nourriture locale, le couac, une sorte de semoule de manioc séchée préparée avec diverses sauces. J'ai bu toutes sortes de sucos (jus de fruit) délicieux et pas chers. Il fait chaud mais la petite averse quotidienne qui tombe en fin de journée est la bienvenue… Le climat tropical est très humide ! Au centre de Bélem, la Praça da Repùblica est très fréquenté par les commerçants, c'est le lieu de promenade favori.
Je pense tout le temps à vous et je prie Dieu de vous protéger.
David

3 décembre

Ma Reina,
Cela fait un mois qu'on est à Bélem. Ici, chacun dort dans un hamac replié le jour. Pour manger, on se débrouille. A part le shabbat chez l'oncle où on se retrouve beaucoup autour de la table.
On a visité quelques comptoirs tenus par des Juifs. Ils sont d'accord pour nous d'avancer des marchandises (tissus, graines, produits manufacturés) et un petit canot pour aller les troquer le long de l'Amazonie contre des produits locaux : peaux, épices, et bien sûr, autant que possible, contre du latex.
Pour l'instant, on donne un coup de main par ci, par là. Je gagne enfin un peu d'argent en aidant à vendre des tissus. Mais le principal, c'est de préparer notre départ sur le fleuve. J'apprends vite la langue brésilienne avec son accent très chantant.
L'oncle me parle en portugais et je m'habitue à connaître les mots importants. Il faut qu'on sache bien le parler pour faire du commerce et se faire comprendre des indiens qui vont nous accompagner.
Je commence à entrevoir l'espoir de bien m'en sortir. Je t'envoie un peu d'argent. J'espère t'en envoyer beaucoup plus quand on fera des affaires. Je pense à toi tous les jours
Ton David

18 décembre

Chère Reina,
On n'est toujours pas parti. C'est plus long que prévu. Il faut faire la tournée des marchands pour choisir ce qu'il y a de plus vendable. On a rencontré un cousin d'Albert qui vit dans une immense île face à Bélem qui s'appelle Marajó. Il nous a invité à venir passer quelques jours avec lui.
C'était magnifique, j'aurais aimé que tu soies avec moi pour voir toutes ces beautés. J'ai vu de merveilleux oiseaux chamarrés ; des perroquets, des canards, faucons, flamants roses qui s'ébattaient dans les lagunes et au bord des rivières ; je me suis baigné sur une plage d'eau douce de Mosqueiro, un vrai paradis. On a mangé des fruits délicieux.
On a été à cheval dans un petit village d'indiens où le cousin avait à faire, et croisé des immenses troupeaux de buffles.
Dans le village, il y avait de belles poteries très anciennes avec des figures géométriques.
On essaie d'apprendre aussi des mots de la langue des Indiens. L'oncle nous a expliqué comment travailler avec eux. Il dit que ce sont des personnes très douces et qu'il ne faut pas les brusquer. Il faut proposer nos produits et leur laisser le temps. J'aimerais avoir de tes nouvelles. Je t'embrasse.
David

22 décembre

Chère Reina
J'espère que tu vas bien et que notre Elie est sage et bien portant.
Ici, je dois m'habituer aussi à la nourriture qui est très différente de chez nous.
Ils mangent des tortues, des singes, et même des serpents, des termites ou des araignées. J'ai pas encore osé en manger. Je préfère me régaler de tous ces fruits tropicaux et des poissons excellents. J'ai goûté du piranhas, un poisson carnassier délicieux. Quand on voit ses dents de près dans l'assiette ça fait peur. Ils dévorent en un rien de temps les carcasses qu'on leur jette.
D'après l'oncle, on pourra bientôt partir pour un mois ou deux avec des marchandises. Ils nous explique la route à faire. On sera accompagné de deux rameurs Indiens qui connaissent bien l'Amazonie. On aura aussi chacun une carabine winchester pour se protéger contre les bêtes sauvages et chasser. Bientôt, le grand départ.

Je t'embrasse.
Ton D.

25 février 1905

Chère Reina
Plusieurs semaines sans pouvoir t'écrire. Je suis de retour à Bélem après mon premier voyage qui n'a pas été facile mais dont je peux dire que nous avons très bien travaillé.
Partis de Bélem, on a navigué trois jours ne mangeant en route que des bananes et du riz, dormant dans le canot. Puis on a abordé un petit village avec des maisons sur pilotis, situé dans une petite anse du fleuve.
On a été bien accueillis par le chef du village, On a échangé nos marchandises contre des peaux, des épices et de la vanille. Pour le latex, on a pris des contacts, on reviendra dans quelques mois, la saison de récolte est de mai à décembre. Les Indiens avec qui on a fait des échanges nous ont promis de nous en garder pour notre prochain passage.
En attendant,
le troc s'est bien passé, les indiens sont d'un naturel doux et communicatif, heureux de rencontrer des gens venus d'ailleurs.
On a passé quelques jours dans le village. Les indiens vivent de cueillette, de chasse et de pêche et d'élevage. Ils cultivent la canne à sucre, le tabac, le maïs, la papaye, le manioc...
Pour la chasse, ils sont très forts. Ils ont des arcs qu'ils utilisent même pour la pêche. Comme arme, ils ont aussi des sarbacanes qui envoient des fléchettes à la pointe enduite de curare. Ce sont de très bons chasseurs très silencieux.
Ils se parent de plumes de toutes les couleurs. La plume a pour eux une signification symbolique, elle représente l'intelligence. Ils ont un prêtre médecin, un chaman, qui conseille et protège les habitants des villages ; il est considéré comme le messager des dieux. On a assisté à une cérémonie où ils se mettent en transe avec des drogues pour communiquer avec les esprits.
C'est très impressionnant.

On a continué, s'arrêtant à plusieurs villages comme Almeirim, Prainha et Monte Alegre où on échangé nos marchandises jusqu'à Santarem où on est resté quelques jours.
Les Indiens vivent en petites communautés d'une centaine de personnes en parfaite harmonie avec la forêt.
Il y a de très nombreuses tribus qui ont des langues, ou des traditions différentes.
On était vraiment plongé dans l'Amazonie, très verte et entourée d'eau.
A Santarem, on a pris un bain dans des eaux émeraudes. C'est à cet endroit que les eaux claires du fleuve se mélangent avec celles, boueuses, du Rio Amazonas. On voit nettement la ligne de partage des eaux juste en face de Santarem.
D'après ce que j'ai appris, ce paradis a été le berceau d'une civilisation très avancée, celle des Tapajos.
Ils ont beaucoup d'objets avec les graines ou les calebasses. J'ai acheté une cuias, c'est une calebasse en forme de récipient, joliment décorée.

Le retour à Bélem a été plus compliqué. Nous avons eu beaucoup de pluie. On était trempé et on a failli chavirer pusieurs fois à cause de toncs d'arbres charriés par le fleuve. On s'est arrêté trois ou quatre fois en route pour acheter quelques provisions mais on avait hâte de se retrouver à Bélem pour voir si notre voyage a été rentable.
On y est depuis deux jours et l'oncle nous a dit qu'on a bien travailler et qu'il nous ferait donner plus de marchandises pour le prochain voyage.

J'avais hâte de te donner des nouvelles. J'espère que tu vas bien et que Elie grandit bien.
Je t'embrasse.
David

Suite (1905-1912) à venir

...

En 1912, à Iquitos

La seule photo qu'on ait de mon grand-père en Amazonie. On le voit au centre appuyé sur une pile de couverture. Dans la fenêtre de droite, on distingue des malles. Dans la fenêtre de gauche une femme ?, accoudée à une malle debout. Difficile de distinguer l'intérieur du magasin. L'activité est signalée sur la façade : "Importation et exportation , de produis du pays aux prix les plus avantageux".
Les personnages (de gauche à droite) : L'homme à la pipe, un enfant (3-4ans), un vieil homme avec un enfant 2 ans?) dans les bras, mon grand-père, un homme qui a en main quelque chose, un moustachu qui a un chien (caniche?) sur les bras, un homme à chapeau, un enfant (de 6-7 ans ?) bien habillé, un homme chapeau à la main puis un jeune Indien (pieds-nus).

 

Chrono David S. Amiel

1904                         Naissance Elie

1906                        Départ de Rabat ?
….

1912                        Iquitos

1919 : (carte postale Rioja) ?

1921                        Manaus

... Retour à Rabat ?

1929                        Rabat

1932                        Mariage Elie, Renée

 

 

Retour Index