ban



Accueil Profil Livres Articles Sites Cuisine Voyages Contact Actualité

 

Vincent van Gogh Forever


 
La reconnaissance d'une œuvre d'art passe forcément par quatre étapes : pairs, critiques, marchands et collectionneurs, grand public.
Depuis 1886, quatre ans avant sa mort, Vincent van Gogh avait la reconnaissance de ses pairs (Bernard, Monet, Pissarro, Toulouse-Lautrec, Guillaumin, Gauguin, etc.), qui eux mêmes avaient de grandes difficultés pour vivre. Monet commençait à vendre un peu (par Theo) et Toulouse Lautrec connaissait déjà un petit succès grâce à ses femmes dansantes des Folies Bergères.
Vincent a eu aussi la reconnaissance de quelques critiques quelques temps avant sa mort. Dans l'article du critique d'art Aurier, on trouve déjà la plupart des adjectifs qu'on emploiera pour le décrire : âme mystique, exaltée, incomprise, vie passionnée et passionnante, travailleur acharné, amour de la nature, peintre sans concession et incompris qui se brûle au soleil d'Arles, etc.
Emile Bernard, son meilleur ami et témoin, fera publier la première édition des lettres en français trois ans après sa mort, en 1893. Il fut le premier à travailler à la reconnaissance de l'artiste, de l'œuvre, de son travail acharné.
En revanche, avant sa mort, Vincent n'a pas obtenu la reconnaissance des marchands ni des collectionneurs, ni, a fortiori,  plus celle du grand public.
Ce n'est que dans les décennies suivantes que sa notoriété va exploser. Trente ans après, il devient un des artistes les plus chers et aujourd'hui il est un des artistes les plus connus au monde.

Pourquoi ?
 
Nous avons affaire à une œuvre unique où nous ayons à la fois plusieurs centaine de tableaux (Theo, son frère a tout gardé) + et plus de 800 lettres écrites tout au long de sa vie. Sa réputation d'artiste se double d'une œuvre littéraire qui explore l'art, mais aussi l'histoire de son temps.
Ses lettres racontent histoire d'un homme en proie aux difficultés pour vivre,
Celle d'un homme cultivé (centaines de références littéraires), au fait de son époque,  Lecteur de romans aussi : Zola, frères Goncourt, Beecher-Stone, et des provençaux Mistral et Alphonse Daudet... Il s'identifie facilement à Tartarin, un héros naïf berné et moqué qui va se révéler héroïque.
Dans ses lettres Vincent professe une vision politique très progressiste, notamment sur le statut de la femme : "La différence essentielle entre avant et après la révolution tient à la reconnaissance des droits de la femme, dans cette collaboration qu’on veut établir(entre l’homme et la femme jouissant de droits égaux et d’une libertéégale" (novembre 1884)
Il est du côté de la révolution sociale qu'il appelle de ses vœux sans en être dupe ("après 89, il y a toujours un 93"). Plutôt désabusé, il ne croit pas vraiment en l'homme.
Et bien entendu, son excellente connaissance de toute la peinture (des sculptures grecques de Giotto, Cimabue à Delacroix, Millet, Courbet) : "je suis si peu excentrique, une statue grecque, un paysan de Millet, une femme nue de Courbet ou Degas, ces perfections calmes et modelées"
L'intérêt de ces lettres, c'est aussi l'histoire d'une œuvre en train de se faire.
C'est un des rares exemples d'un récit qui permette d'approcher de près ce qu'est le processus de l'art. Il est un travailleur passionné, désintéressé, celui qui cherche la perfection, apprend sans cesse, pour se surpasser.
On y lit l'histoire d'un Homme, travailleur acharné, qui cherche à tout comprendre, (l'intelligible plutôt que le visible), fin analyste de l'art de son temps, c'est aussi un récit d'un moment de l'histoire de l'art par un de ses acteurs. L'Homme est inséparable de l'œuvre qu'on peut suivre à la trace.
 
Ces lettres vont faire naître un mythe, une légende : celle d'un destin tragique d'un homme dévoué à l'art, un héros martyre. C'est la figure du premier héros artistique, romantique, révolutionnaire qui a eu raison contre tous et sera reconnu après sa mort. On a affaire au processus d'héroisation d'un autodidacte.
Van Gogh définit le nouveau paradigme de l'artiste dont l'individualité, la singularité triomphe sur le système et les élites et dont les excès se renversent en valeur.
Il incarne un destin exceptionnel en même temps universel, une métaphore de l'homme qui se bat contre les difficultés de la vie, Icare se brûlant les ailes en approchant le soleil.
Victime de la société, du milieu de l'art, de sa famille, il incarne l'artiste incompris entraînant chez les amateurs d'art une dette, une culpabilité collective qui fait partie aussi probablement de sa légende.

Il est très proche aussi de la figure du saint avec toutes les étapes du chemin de croix, de sa passion :
- naissance du double, pas soi même
- enfance déambule dans la bruyère
- Prêtre exalté du Borinage qui donne tout aux pauvres, aime son prochain, dont il essaie de soulager sa souffrance,
- amours ratés
- L'humilité  de l'homme qui peint les pauvres paysans au travail ou dînant d'un plat de pommes de terre.
- L'artiste parisien au milieu de ses pairs
- Son labeur acharné sous le soleil de Provence
- Sa peinture inspirée, d'une vérité supérieure.
- L'homme à l'oreille coupée, auto mutilation
- Suicide assumé face à la dureté du monde
- Son frère, son double qui l'aide toute sa vie et meurt juste après

 
La folie supposée

Dans les premiers écrits et analyses de son œuvre, il n'est pas considéré comme fou, le mot fou n'apparaît pour la première fois en 1913, soit 20 ans plus tard.
En 1924, a eu lieu la première analyse psychiatrique à parler de folie et en 1928, le premier ouvrage psychiatrique consacré à van Gogh.
Des dizaines de diagnostics différents ont été portés sans qu'aucun ne soit convaincant.
Les psy, critiques, historiens ont simplifié, tenté de généraliser son cas jusqu'à brouiller son image alors que dans toutes ses lettres, aucun dérapage n'est perceptible. On a constamment affaire à une personnalité responsable, sincère, chercheuse de vérité, charitable, impliquée, d'une humanité généreuse et d'une moralité à toute épreuve malgré toutes les vicissitudes qu'il a connues.
Sa présence morale, le sérieux de ses lettres montrent quelqu'un de clair, de sain d'esprit. Il a toujours essayé de se contrôler même s'il s'interroge parfois sur sa folie. Il reconnaît avoir subi quelques crises, probablement d'épilepsie, dont il se remettait rapidement. C'est probablement l'histoire de l'oreille coupée, en fait un geste de rage alors qu'il se rasait, qui a entraîné ce diagnostic.
Des millions de gens souffrent d'épilepsie (sous de multiples formes) dans le monde sans qu'on les considère comme "fous".
Ses crises (six au total) ont entraîné - ou précédé plus probablement (deux surtout) des épisodes délirants qui l'ont lui-même étonné : "j’ignorais qu’on pouvait se casser la tête cérébralement et qu’après cela se remettait aussi".
Ce sont plutôt les moments difficiles où il sentait sa vie menacée qui sont à l'origine de ses crises. Notamment surtout, aux moments où la relation intense qu'il entretenait avec son frère (il dépendait de lui pour sa survie matérielle) se dégradait, qu'il se sentait abandonné. L'historique de ses crises peut d'ailleurs être relié aux événements importants de la vie de Theo (fiançailles, mariage, annonce de l'enfant à naître, naissance de son neveu appelé aussi Vincent, etc.)
Vincent est un être exalté qui s'est donné tout entier à l'art et c'est parce que son œuvre est reconnue importante qu'on a cherché à comprendre sa vie et ses moments difficiles.
Des dizaines d'années après qu'il se soit suicidé, on assiste à une esthétisation de la folie qui a été d'ailleurs complètement assumée par les dada pour qui l'art et l'aliénation mentale était un compromis acceptable.
Ce chapitre est loin d'être clos et chaque nouvelle biographie cherche un diagnostic impossible. Il y a probablement autant de maladie mentales que d'individus même si on continue d'essayer de mettre chaque individu dans un tiroir, une nomenclature, une classification.
 
Un autre image qui marque les esprits revient sans cesse, celle de l'artiste qui se sacrifie, du créateur se consumant dans son œuvre. Là encore, Vincent réfute toute intention de sacrifice. Il ne veut pas de l'image de l'homme attiré par le malheur, ni de celle du peintre maudit. Jamais il ne s'est considéré comme un génie, son rêve était plutôt d'être un "ouvrier de la peinture" qui gagnerait gentiment sa vie en faisant ce qu'il aime, un "anneau dans la chaîne des artistes"...

Revenons plutôt sur ce qui l'a fait reconnaître et qui fait que plus d'un siècle plus tard, à l'égard de Léonard et d'un petit nombre d'artistes, son œuvre suscite autant d'intérêt.
Son style unique, son écriture picturale très facile à reconnaître, fait beaucoup pour sa reconnaissance : ses couleurs aux effets puissants dues à sa subjectivité radicale de ses choix, ses œuvres intenses, d'une déroutante étrangeté, montrent un artiste extrême qui interpelle fortement au delà des époques
L'originalité en peinture, sa déviation, sa rupture étaient déjà constitués comme valeurs à partir des Impressionnistes qui ont largement préparé le terrain. Vincent va incarner facilement ce mouvement de contestation.
Notons aussi que son art répond à tous les niveaux de compréhension, de lecture : de la sensibilité de chacun aux couleurs outrées de ses portraits puissants et rugueux aux dessins d'une grande finesse et inventivité, son travail est interrogeable à plusieurs degrés. Le nombre de ses autoportraits est remarquable. Il est le premier à peindre à la première personne, signant de son prénom, manifestant ainsi une singularité nouvelle.
Il est aussi l'artiste dont l'œuvre est sa propre vie.
Le personnage est aussi remarquable, attirant : original, excessif, utopiste, rêveur, travailleur acharné et inspiré se décrivant comme un ouvrier de la peinture.
Il prête facilement à l'identification de l'homme qui se bat, travaille sans succès mais ne cède pas sur son désir et ne fait aucune concession.
Dernière raison pourquoi Vincent est resté important : ses influences sur les autres peintres : Fauvisme, Expressionnisme, Abstraction, Picasso, et beaucoup de jeunes qui se réclament de son style.

L'image de l'artiste dépressif, mal compris, coupeur d'oreille, qui vit dans la pauvreté, et dont le génie précurseur sera reconnu après sa mort est encore installée dans la tête de nos contemporains.  Une figure christique qui ne correspond pas à ce qu'était vraiment Vincent.
Tous les chercheurs conscients de son œuvre travaillent depuis des années à changer l'image qu'il a auprès du grand public.
Quand on voit toutes les publications, livres, articles, films documentaires, expositions qui sont produits dans le monde, on constate que non seulement Vincent a beaucoup travaillé, qu'il continue à susciter des controverses, de nouvelles interprétations, biographies mais qu'il continue à nous faire travailler, réfléchir.

Des expositions internationales attirant des publics toujours plus nombreux, des nouveaux lieux qui balisent son parcours : Zundert, Nuenen, Amsterdam, Arles, Auvers, etc. On n'a pas fini d'entendre parler de celui qui espérait être tout au plus un "anneau dans la chaîne des artistes".

Le livre de Nathalie Heinlich, La Gloire de Vincent, paru en 1991 est très complet sur le sujet.

 


Dates
1890 premier article Aurier, première toile vendu a un prix correct
1892 première rétrospective en Hollande
1893 première édition des lettres de Bernard
1901 première expo perso à Paris
1906 première apparition du terme "Peintre maudit"
1907 premières reproductions de ses œuvres dans un livre
1908 lettres en russe
1910 première biographie en allemand de Meier Graefe
1911 première étude médicale en hollandais
1913 premières ventes à 35 000 f
1916 Première biographie en français
1920 Au tournant des années 20, ses prix explosent. Le public est familiarisé avec les      éléments de sa biographie dramatique. 30 ans après sa mort, le mythe est là et les prix atteignent des sommes considérables.
1920 première étude psychiatrique
1921 première biographie à succès Meier Graefe
1928 premier catalogue raisonné de de la Faille
1934 premier roman à succès, d'Iriving Stone
1935 Heidegger, Derrida le présentent en tant qu'objet philosophique (peintre philosophe)
Labeur paysan, soulier
1940 670 articles recenses avant 1940
Références à sa vie : Image héroisée, idéalisée, légende
Ses prix 100 000% en un siècle. Les faux se multiplient
1947 premier film documentaire de Alain Resnais
1953 première étude psychanalytique de Mauron
1956 premier film Vicente Minelli
1960 première édition complète des lettres
1972 inauguration du Musée Amsterdam

 

 

retour index