Alain Amiel



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Artaud et van Gogh au Musée dOrsay


Artaud et van Gogh, une belle affiche... Mais j'avais peur qu'elle cache une énième façon de de te voir comme un fou exalté. Mais enfin, là, on donnait la parole à Artaud. Son livre "Le suicidé de la société" critique violemment les pratiques psychiatriques dont lui-même a beaucoup souffert. Il a subi plus de cinquante électrochocs qui lui ont démoli le cerveau encore plus que ses crises délirantes. Il en veut aux psychiatres, "redresseurs d'esprit et de poésie et à la société qui les soutenait".
De plus, un livre "Le démon de van Gogh", du Dr F-J Beer que lui a lu par extraits son amie et soutien Paule Thévenin, a attisé sa colère. Sur les conseils de son ami galeriste Pierre Loeb, il écrit ces mots : "Un jour la peinture de van Gogh armée de fièvre et de bonne santé reviendra pour jeter en l'air la poussière d'un monde en cage que son cœur ne pouvait pas supporter".
Jetés sur un cahier d'écolier au retour de l'exposition rétrospective de tes œuvres à l'Orangeraie (le 2 février 1947), ces mots sont les premiers d'un pamphlet poétique et virulent (son dernier grand texte) où il conteste le sort que la société par l'intermédiaire des psychiatres réserve aux génies, aux hommes qui refusent "de se rendre complices de certaines hautes saletés". En un véritable réquisitoire, il les accuse de meurtre : "J'ai derrière moi deux ou trois cercueils que je ne pardonnerai plus à personne".


Le livre a eu du succès, un prix. Il a fait scandale en critiquant la psychiatrie telle qu'elle se pratiquait (se pratique encore ?), mais ce n'est que plus de cinquante ans plus tard que cette exposition vous mettait en contact.
À partir de citations d'Artaud, Isabelle Cahn, la curatrice de l'exposition, a présenté tes œuvres dans une dizaine de salles selon différentes thématiques : "une terrible sensibilité", "un convulsionnaire tranquille", la lumière orageuse", etc.
L'exposition est simple, sobre, évidente dont on peut se demander pourquoi elle n'avait pas été réalisée plus tôt
On dit qu'Artaud ne s'est pas attardé en visitant l'exposition, mais il a vu l'essentiel. Son regard sur les œuvres de Vincent est percutant. Il a parfaitement saisi comment il déconstruisait ses paysages : "Sous sa plume, l'artiste  hollandais, le boucher roux éventre, dilacère le paysage et le réduit à ses éléments simples : apostrophes, séries, virgules, qu'il range sous le commandement de sa matrice à lui, matrice ou la nature et le langage recommencent leur genèse dans le tumulte de sa lettre émancipée".


Il a repéré aussi comment Van Gogh pliait sa technique au service des sentiments qu’il voulait exprimer et bien senti le paradoxe d'une peinture qui cherche à exprimer "le calme, le repos absolu" par des mouvements vigoureux de pinceaux et par le choix de couleurs outrées. Dans la recherche de van Gogh, pour "réanimer les choses vivantes", pour "rejouer l'incarnation", il s'est reconnu. Comme l’artiste, Il s'était engagé sur la voie de l'innovation, à la "recherche de l'Illumination intérieure" pour atteindre la plus "abasourdissante authenticité.


Heureusement, l'exposition instaurait un dialogue sobre et intéressant entre les propos d' Artaud et tes œuvres. Une scénographie plutôt sombre où tes œuvres bien éclairées étaient mises en valeur, offrant une intimité rare avec chacune d'entre elles.

Le catalogue de l'exposition :
 Si j'ai apprécié l'article de la curatrice et celui de Nienkke Becker, mesuré, celui d'une chercheuse grande lectrice des Lettres de Vincent, j'ai détesté celui de Paul Denis qui va à l'encontre de tout ce que disait l'exposition. Pourquoi avoir choisi un tel texte, un tel auteur ? C'est incompréhensible et désolant. C'est un article d'une bienveillante condescendance d'un psychiatre ringard qui reprend tous les poncifs sur ta "folie" en les réactualisant. Il va même jusqu'à évoquer un graphorrhée, une "manie d'écriture" que les nosologies psychiatriques et psychanalytiques ont abandonné depuis longtemps. Pourquoi pas aussi une "manie de penser", une pensorrhée ? Vincent n'a cessé d'écrire avant ou après les crises sans qu'un mot ne puisse être considéré comme ne faisant pas parti d'un discours réfléchi, sensé. Les nosologies psychiatriques n'ont cessé de changer et d'être remises en question (actuellement, la mode, c'est la bipolarité, tout le monde est bipolaire comme il a été hystérique, maniaco-dépressif, psychotique, etc.). Pourquoi associer ce psychiatre (qui a dû, vu son âge, prescrire des électrochocs - ils l'ont presque tous fait). Il considère d'ailleurs les électrochocs comme "seule thérapeutique psychiatrique efficace du moment". Il est clairement du parti des psychiatres que van Gogh ou Artaud abhorraient (que j'abhore aussi).
Heureusement que ses propos n'apparaissent pas dans l'exposition !



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