Alain Amiel



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Ma marocanité
Going Back to Rabat
Ma maison natale
Librairie du Chellah
Vieux cimetière juif de Rabat
Patronyme Amiel
Histoire des Juifs
Histoire des Juifs du Maroc
Les "Signes" des Juifs
Juifs d'Amazonie - Iquitos
Bible - Exégèses
32 rue du Capitaine Petijean
Suzanne Benzaquen
Mon grand-père en Amazonie
Interview sur Rafio Judaica Lyon par Catherine Elmalek
Interview par le CCME
(Conseil de la Communauté marocaine à l'étranger)

 


Ma Judéo-Marocanité
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Je suis né à Rabat le 10 octobre 1949 au sein d'une grande famille qui comportait du côté de ma mère de nombreux oncles et tantes et plus d'une vingtaine de cousines et cousins qui souvent ont été mes premiers partenaires de jeux. Une famille très soudée qui se recevait souvent. Il y avait toujours des fêtes, des communions, des mariages, toutes sortes d'occasions de se divertir, de danser, de chanter et de rire.

J'ai habité mes dix premières années rue Capitaine Petijean, en face d'un grand garage, un quartier populaire aux rues très animées. La grande cour centrale de l'immeuble à deux étages où nous vivions était mon terrain de jeu favori. Tous les enfants de l'immeuble (juifs, catholiques ou musulmans), mes premiers amis, s'y retrouvaient pour jouer à toutes sortes de jeux : aux cow-boys et aux Indiens - c'était la grande période des films hollywoodiens que nous dévorions au cinéma d'à côté (avec deux films à chaque séance). Puis, bien sûr, les jeux de ballon : foot, mais surtout hand ball, on avait dessiné les buts sur les murs et j'aimais bien le poste de gardien.

Quand j’avais dix ans, nous avons déménagé pour une plus grande et plus belle maison en centre ville, rue du 18 juin. Ma mère entre temps avait créé sa propre librairie, aidée par mon frère aîné Andrė qui travaillait (avant d'en être un des responsables) dans la plus grande librairie de Rabat, "Les Belles Images", avenue Mohamed V.
Mon enfance s’est passée au milieu des livres que littéralement je piétinais à l'occasion de la rentrée des classes où une foule d’élèves accompagnés de leurs parents, se pressait à notre porte pour acheter les livres scolaires de l’année à venir et nous vendre ceux de l’année précédente.
Je passais beaucoup de temps entre les deux librairies. Celle de mon frère, plus grande, plus belle, comportait en sous sol une galerie d'art où j'ai vu mes premières expositions.
Depuis, les livres et l'art constituent l’essentiel de ce qui m’occupe et me préoccupe.
Rabat étant la capitale du Royaume du Maroc, il y avait toutes les ambassades et dans la classe du Lycée Descartes où j'étais, beaucoup de nationalités étaient représentées. Mes amis d'adolescence étaient bien sûr français et marocains, mais aussi argentins, ivoiriens, yougoslaves, etc. Ce qui a dû m'aider à m'ouvrir et à m'intéresser à toutes les cultures.

En 1967, j'ai quitté à regret Rabat pour Nice où mes parents avaient décidé de s'installer.
Les années 60 ont connu une forte émigration des Juifs marocains vers le Canada, la France et Israël. Mes parents avaient choisi Nice où ma sœur était déjà installée. Par la suite, une grande partie de ma famille nous a rejoint.
J'ai passé mon baccalauréat et fait des études de psychologie qui ont débouché sur un emploi d'éducateur spécialisé dans un Institut Médico Professionnel près de Nice. Mais vite, la passion des livres m'a repris et je me suis retrouvé éditeur encouragé par mon frère aîné André, lui aussi installé à Nice. Il avait l'expérience de ce métier qu'il exerçait à Rabat. La librairie "Les Belles Images" éditait aussi des livres, essentiellement sur le Maroc.

Mon premier ouvrage publié a été un "Guide de Nice" où la culture régionale avait une part importante, ce qui m’a donné l’occasion de visiter les nombreux musées et galeries et de rencontrer des créateurs, des artistes.
Mon métier d’éditeur m’a ensuite permis de me lier avec des scientifiques, des psychanalystes, des pédagogues, des écrivains, des poètes, etc., vivant à Nice ou dans la région. Pendant les vingt années où je dirigeais ma maison d’édition, j’ai pu développer des collections de livres d'artistes, des revues de psychanalyse, de linguistique, de poésie, une revue scientifique, etc.
En 2002, j'ai arrêté mon activité d'éditeur pour me consacrer pleinement à l'écriture. Notamment à des livres sur Van Gogh, qui a occupé et occupe toujours une partie importante de mon temps (4 ouvrages parus, des articles, conférences, films, etc.)
Proche de nombreux artistes, je suis devenu critique d'art et je publie de nombreux articles par an sur les nouvelles démarches artistiques ou les artistes émergents. Parallèlement, je poursuis des recherches sur des thèmes plus personnels : ma judéo-marocanité, l'histoire de mon grand-père, de mon nom, de ma famille, ou sur les avancées des sciences.
Durant toutes ces années, j'ai beaucoup voyagé en Europe en Méditerranée, aux USA, au Pérou, au Japon, etc. Avec ma compagne passionnée d’archéologie grecque et romaine (elle a travaillé au Musée d’Archéologie de Nice après quelques années au CNRS de Sophia-Antipolis), nous voyageons surtout en Italie, en Grèce et en Espagne que nous nous rendons le plus souvent pour visiter les sites et les Musées.
Je connais bien aussi la Hollande (grâce à Van Gogh) où j'ai mes repères, un peuple de marins, donc ouvert et imprégné de nombreuses cultures.
Je me suis rendu au Pérou, à Iquitos sur les traces de mon grand père paternel qui a passé une vingtaine d'années en Amazonie avant de revenir au Maroc. J’ai réalisé deux courts-métrages et écrit un livre sur son périple et ce n’est pas fini. Il me reste à visiter Yurimaguas et Rioja, les deux dernières villes où il a vécu.

Depuis des années, la psychanalyse et l'âge aidant, je me suis penché sur mon passé, sur ce qui m'a constitué comme être de culture, mais aussi comme individu sentant, ressentant le monde à travers les filtres successifs de son histoire. L’écriture m’a beaucoup aidé à comprendre l’individu que j’étais devenu.
Mon identité, comme celle de tous les êtres humains, est plurielle. Je me sens marocain, juif, méditerranéen, homme du Sud, de langue et de culture française et arabe (je comprends l'arabe marocain mais ne le parle presque plus).

Ma judéo-marocanité est au cœur et à l'origine de mon histoire.
Ma façon d'être au monde comporte fortement les traces impalpables de mes premières années, premières sensations, de mes premiers mots et de mes premiers maux...
J'ai ėté élevé plutôt en français, mais mes deux grands-mères ne parlant qu'arabe marocain, j'ai été baigné dans cette langue qui avec le français ont été mes langues "maternelles".
L’arabe de ma grand-mère paternelle, comme tout l'amour qu'elle m'a donné, m'a imprégné bien au delà des mots.

Dans ma grande famille, la religion tenait une place importante. L’année était scandée par les fêtes juives : Kippour, Pessah, la Mimouna, Roch Hachana (nouvel an), Soucoth, etc., et surtout par le Shabbat qui, par ses interdits et ses obligations, rythmait la semaine juive. À la maison, le vendredi était le jour le plus actif. Ma grand-mère et ma mère passaient cette journée à préparer des repas conséquents qui comportaient plusieurs variétés de salades, de plats principaux et de desserts sympathiques. Trois repas complets devaient être préparés.
Le vendredi soir et le samedi midi était des fêtes. Le samedi était le jour où je me régalais avec mon repas préféré : la dafina, le plat mythique de mon enfance. Le déjeuner traditionnel du samedi. Préparé le vendredi matin, mis à cuire l’après-midi, il embaumait toute la maison.

Plus pratiquant que croyant, mes rapports à la religion, à la mienne (celle de ma famille, de mes ancêtres) et à celle des autres, se sont pacifiés avec le temps. S’il m’est impensable de considérer un Dieu présent, actif, surveillant le monde et chacun (« s’il existe, j’espère qu’il a une bonne excuse », nous dit Woody Allen), j’aime la religion de mes ancêtres, leur culture millénaire remplie de sagesse, ses mythes et bien sûr, ces moments de fêtes qui rythment la semaine ou l’année, leurs rituels, les émotions qu’ils engendrent. La daf en est une synthèse.
Cuisine ? Religion ? Culture ? La dafina fait remonter des émotions toujours présentes, constitutives de ma relation au monde.
Pour exprimer certaines sensations, émotions ou sentiments, les expressions marocaines s'imposent toujours et je constate que c'est aussi le cas pour mes cousins et cousines. Dans les grandes réunions familiales, même pour ceux qui vivent au Canada ou aux USA, les expressions marocaines fusent toujours. Souvent, les enfants des cousins de ma génération nés en France, les comprennent et les utilisent. La langue primordiale, celle des sentiments, des façons d'être, se perpétue ainsi au delà des générations.

La cuisine reste un marqueur fondamental des cultures. Il y a quelques années, après le décès de ma mère, j'ai eu besoin de retrouver les saveurs de mon enfance. Très naturellement, j'ai essayé de cuisiner tous les plats qui m'ont marqué : façon de préparer le poisson, les légumes, la dafina, la Tchouktchouka, les épices, le thé à la menthe (tous les matins).
Et bien sûr, la musique orientale me fait toujours vibrer. Dans les fêtes familiales, devenues très rares, elle joue encore largement sa partition face aux musiques modernes. La vraie fête, les vraies danses, sont toujours orientales. C'est un régal de voir mes cousines et petites cousines danser.
Ce soirs-là, je retrouve ma marocanité dans une façon d'être au monde, de le sentir, de le vivre.
Comment ne pas me reconnaître dans cette culture, creuset méditerranéen, mélange d'Al Andalus, de tribus berbères, de tradition sémite et de géographies colorés et ensoleillés ?
J’ai reçu aussi de puissantes influences de la culture anglo-américaine : Bob Dylan, les Beatles, les films, les auteurs. Je me suis aussi familiarisé avec les écrivains japonais, chinois, africains, russes...

Si l'identité, c'est se reconnaître dans certaines choses ou attitudes, alors la mienne est constituée de multiples identités qui peuvent être discontinues, diachroniques, voire conflictuelles.
C'est cet assemblage de toutes ces identités qui a fait et continue de faire mon identité.
Citoyen du monde, j'ai aussi une identité probable de terrien face à d'éventuels extra-terrestres..


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